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qui lui avait été si pénible cette après-midi, celle de son intime et cher secret livré en pâture à d’odieuses curiosités. Elle se souvint de l’autre lettre à elle adressée, celle-là où Jules lui disait, parlant de sa mère : « Les visites de M. C…, d’abord pour prendre de mes nouvelles, puis hier, lui avaient été rapportées. » Par qui ? sinon par ce domestique, sous les yeux duquel elle se sentit rougir comme une coupable, elle l’innocente, elle la victime. Sachant cela, comment Jules avait-il choisi ce messager ? Hilda était dans une de ces périodes de sensibilité blessée où l’on saigne à la moindre piqûre. Ce lui en fut une encore, que le ton dégagé, familier, presque affectueux, du billet ainsi envoyé et que son père lui communiqua aussitôt. Elle l’avait prévu, Maligny ne démentait pas cette conversation avec Corbin — qu’il n’avait jamais eue. Il se déclarait très reconnaissant à M. Campbell, pour lui avoir si complaisamment cherché un cheval, et, tout en annonçant sa visite, il parlait, il osait parler, du plaisir qu’il aurait « à revoir la charmante miss Hilda ». C’étaient les termes dont il se servait et qui allèrent chercher, dans ce cœur malade, la fibre la plus douloureuse, pour la froisser. Ce ton de souriante et banale galanterie contrastait par trop avec ce qu’il y avait de si pudique, de si recueilli, de si douloureux dans l’amour de la sérieuse enfant. Jules aurait dû ne jamais écrire son nom, ou l’écrire avec des formules conventionnelles qui n’auraient pas été une ironie à la tendresse de leur passé. Elle s’en rendait compte, d’autre part : il n’avait pas pu ne pas interpréter dans un sens tout à fait funeste à sa loyauté de fille la démarche de son père. En cela avait-il si tort ? Ce mensonge, commis la veille impulsivement et qu’elle avait aussitôt regretté, lui infligea, tout d’un coup, une honte affreuse. Jules avait deviné cette faute. Il s’en faisait