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vous et ne me prenez pas pour plus bête que je ne suis. »

— « Un pourboire ?… » répéta le cocher, si interloqué de cette réplique où l’ancien mannequin reparaissait, qu’il en balbutiait : « Moi, Jean Gaultier ? Un pourboire ?… Si c’est possible !… Moi ! Moi qui en suis de ma poche, oui de ma poche, tant je gâte mes bêtes, avec l’écurie de madame !… »

— « Hé bien ! », dit Mme Tournade, « à partir d’aujourd’hui, vous ferez des économies, en cessant d’être à mon service… J’en ai assez de vos insolences… » Et, s’adressant au chauffeur : « À l’hôtel, Achille. Mais arrêtez-moi dans un bureau de télégraphe. »

— « Soyez tranquille, Gaultier, » disait philosophiquement le chauffeur Achille, en manœuvrant la direction, à son ennemi professionnel, qui s’était assis à côté de lui, avec la plus penaude et la plus déconfite des figures, « vous ne partirez pas. La patronne a découvert quelque paquet Maligny. Elle va envoyer un bleu à son petit monsieur… Encore heureux qu’elle ne me fasse pas porter son billet et attendre la réponse. Le petit monsieur rappliquera aux Champs-Elysées, et un peu vite. Ce sera du cent à l’heure, je vous en réponds. Le sac est trop gros pour qu’il se brouille… Réconciliation générale. Sur quoi madame vous réintègre dans votre écurie… Tout de même, notre métier est meilleur, avouez-le. On ne peut pas nous mettre à la porte, en deux temps, trois mouvements, nous autres. Tout le monde mène tous les chevaux ; mais pour trouver quelqu’un qui vous prenne un virage comme celui-ci, tenez, vous pouvez chercher. » Fatuité perdue ! Le gros cocher était si écrasé de la perte possible de sa place, qu’il ne releva pas cette épigramme, et