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laisser dans l’incertitude sur ses sentiments intimes. Ce faisant, le demi-Slave n’avait pas plus joué la comédie avec elle qu’avec Hilda, au printemps, qu’avec Louise ensuite. Il devinait qu’il plaisait infiniment à la riche veuve, et qu’avec un peu de diplomatie ce goût s’exaspérerait vite jusqu’à la passion. De la passion au mariage, avec un peu de diplomatie encore, il n’y aurait pas loin. Mais, si Mme Tournade n’avait pas tout à fait l’âge que lui prêtait généreusement Mme Mosé, elle avait plus de quarante ans, et le jeune homme était sincère dans ses hésitations. Un million à dépenser par an, c’était un mirage bien séduisant, certes. Mais cette abondance de « lustres » — comme eût dit un de ses aïeux du grand siècle — lui paraissait dure à accepter, — pour l’avenir. D’autre part, comment renoncer à cette chance de redorer d’une telle épaisseur de métal le blason des Maligny ? Tout de même, il ne s’était pas décidé à sauter le pas. Ses rapports avec Mme Tournade avaient donc comporté des alternatives d’empressement presque tendre et de froideur presque insultante, dont l’effet, le plus sûr avait été de la piquer au vif. En faut-il davantage pour justifier la visite de la quadragénaire amoureuse rue de Pomereu et son insistance à voir cette nouvelle rivale qui venait soudain de lui être révélée ? Mme Tournade avait, d’ailleurs, un sujet d’entretien tout trouvé. Dans cette crise aiguë de jalousie, un projet qu’elle nourrissait vaguement s’était précisé : celui de suivre aussi les chasses où Jules figurerait cet automne. Elle montait assez médiocrement, mais, enfin, elle montait. Aucun des chevaux qu’elle avait dans son écurie n’était dressé aux particularités de la chasse à courre : — les aboiements des chiens, les appels du cor, le saut des obstacles, l’excitation du galop avec d’autres. — Il était très naturel qu’elle s’adressât à la maison