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lisaient, copiés de sa main, les vers célèbres de Polonius, dans l’Hamlet de Shakespeare : « Avant tout, sois loyal envers toi-même ; et, aussi infailliblement que la nuit suit le jour, tu ne pourras être déloyal envers personne[1]. » Ces deux phrases, ces deux devises plutôt, Hilda les avait lues des centaines de fois depuis des années que ces deux cartouches décoraient l’alcôve paternelle. Elle se surprit à en redire les mots et à trembler. Si Jules ne la démentait pas, ce serait pire : une complicité les unirait, elle et lui. Ce serait comme si elle lui avait donné un rendez-vous, à l’insu de son père, et qu’il y fût venu… L’une et l’autre hypothèse surgit devant son esprit tandis qu’elle regardait le casier vide. Elle avait été si certaine d’y reprendre la funeste lettre, que ce contre-temps bien naturel, bien peu important par lui-même, lui donna une sensation de fatalité. Elle n’avait pas entièrement tort. Un nouvel incident allait le lui prouver.

Qui n’a pas traversé, dans sa vie, des heures où les événements se multiplient autour de nous, comme si une secrète puissance travaillait à changer notre destinée ? Quand on considère, une par une, les causes diverses de cette multiplication d’événements, on y reconnaît un concours de circonstances trop fortuit. Il reste, cependant, à expliquer pourquoi cette convergence. C’est la part d’inconnu qui se rencontre au fond de toute existence humaine. Notre raison proteste contre l’idée du hasard gouvernant uniquement ce que l’on appelle en terme énigmatique, le sort. Il nous est, d’autre part, impossible de saisir le pourquoi de tel ou tel incident, qui aiguillonne notre vie dans tel ou tel sens et pour toujours. Qu’en conclure, sinon — comme disait, dans ce même Hamlet, ce

  1. Hamlet, scène II au premier acte. « This above all, — to thine ownself be true… »