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très humble détail de ménage empêcha la pauvre fille de trouver cette solitude qu’elle cherchait, afin de s’abandonner en liberté à l’excès de sa douleur. Les Campbell avaient conservé, entre autres usages anglais, celui de la distribution stricte du service entre les domestiques. Une maid, venue du Yorkshire et qui portait le traditionnel tablier à épaulettes sur la robe en toile de couleur, avec le petit bonnet blanc, avait pour fonction spéciale le nettoyage à fond des chambres. Elle était dans celle de Hilda, où elle vaquait à cette besogne. Elle frottait le parquet, avec un morceau de laine, agenouillée au milieu des meubles poussés dans les angles. La nécessité de se dominer devant cette servante rendit à la pauvre fille la force de réagir qui lui aurait, une minute de plus, manqué d’une manière totale. Elle fit semblant, pour justifier sa rentrée hâtive, de chercher un mouchoir dans la commode. Cette diversion suffit : les sanglots qui lui montaient à la gorge s’arrêtèrent. Elle avait reconquis son empire sur soi. Cette énergie retrouvée n’alla point, cependant, jusqu’à prendre part au déjeuner du matin. Elle y présidait d’ordinaire, versant le thé à son père et à John, leur distribuant les muffins beurrés et les œufs au petit salé, — les inévitables eggs and bacon, — leur découpant, avec le long couteau spécial, les minces lamelles de roastbeef froid ou de jambon. À travers la porte, elle cria au gros Bob Campbell qui l’attendait, occupé à bourrer sa pipe en racine de bruyère et à chercher les nouvelles sportives dans son Herald du jour : — « J’ai un peu de mal de tête, Pâ… Mettez-vous à table sans moi. Je ne mangerai qu’après être sortie…

»

— « Prenez le nouveau cheval, alors, » répondit le père, sans autre question. « On doit venir le voir à dix heures. Il sera mieux, s’il a été un peu baissé. »

— « Il ne s’est aperçu de rien, » se disait Hilda,