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rôle qu’il a joué, »continua-t-il donc, « je vous jure, Hilda, que j’en serais resté là… J’ai pensé qu’il y avait intérêt pour vous à être renseignée exactement sur cette histoire, après ce qui s’est passé… Je connais plusieurs des grooms qui suivent la chasse à Chantilly. Ces gaillards-là entendent tout, savent tout. J’en ai fait causer un, puis deux, puis trois, en leur parlant, à celui-ci de Mlle d’Albiac, à celui-là de M. de Maligny, à cet autre de Mme Tournade, et voici les détails que j’ai recueillis. Mme Tournade est une veuve. Elle a hérité de son mari, qui était un industriel en bougies — les bougies Tournade — et un spéculateur, une fortune énorme. On dit qu’elle a quatre-vingt mille livres sterling de rente. Mais j’ai compris deux choses : d’abord, la fortune n’est pas honorable. Ensuite, Mme Tournade n’est pas une lady. On prétend qu’elle a été un mannequin, pour débuter, et, plus tard, ce qu’ils appellent une femme entretenue, avant d’être épousée par ce Tournade. On prétend cela, mais elle est si riche ! Beaucoup de gens vont chez elle et la reçoivent. Mlle d’Albiac, elle, n’est pas très riche. Elle n’a plus sa mère. Son père a beaucoup mangé à la Bourse. Il leur reste environ deux mille livres de revenus. Toute l’aventure rapportée à Mme Mosé par le comte de Candale est la fable des châteaux, paraît-il, en ce moment-ci de l’année. La pauvre jeune fille s’est rencontrée sur un bateau avec ce garçon. » Corbin avait dit fellow et non pas gentleman, avec le dur mépris qu’un Anglais peut mettre dans ce mot. Il déclassait du coup Maligny. « Ce voyage, dont parlait M. de Candale, c’est un trip qu’ils ont fait ensemble dans les mers du Nord, cet été, à bord d’un paquebot. Cet homme s’est fait aimer de cette jeune fille. Il s’est servi d’elle et s’en sert encore, toujours, comme a dit le comte de Candale, pour exciter la jalousie de l’autre femme. On