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marcher, elle aussi, de box en box, avec les morceaux de sucre qu’elle distribuait aux chevaux dont les têtes, nerveuses et avides, se tournaient vers elle d’un geste confiant. Elle n’avait plus de ces gâteries pour les « sans-raison », maintenant, ni de sourires pour les palefreniers qui la saluaient, ni de caresses pour les bassets écossais, Birnam et Norah, accourus vers elle en trottinant sur leurs pattes torses et velues, de l’extrémité de la cour, dès qu’ils l’apercevaient. Encore ce matin, son joli visage portait l’empreinte d’une telle tristesse que le cœur de Jack Corbin se serra. Mais c’était la tristesse d’une fille courageuse qui n’accepte pas qu’on la plaigne. Cette fierté imposait à l’écuyer, même dans ce moment où il croyait bien posséder un moyen sûr de guérir l’amour malheureux dont elle était rongée.

— « Vous avez eu une belle chasse, hier, Jack ? » lui demanda-t-elle la première, pour rompre le silence soudain établi entre eux, après les phrases de politesse usuelle.

— « Très belle, » répondit-il… « Le rendez-vous était à la Reine-Blanche. On a attaqué aux Grandes-Ventes. Le cerf a été pris à la rivière La Tène, près le viaduc, après cinq bonnes heures. Nos chevaux ont très bien marché. On les a beaucoup regardés. Mme Mosé achètera certainement celui qu’elle montait… »

— « Y avait-il beaucoup de monde ? » interrogea Hilda, non sans un frémissement. Elle ne savait rien de Jules, ai-je dit déjà, ni s’il était à Paris ni s’il chassait cette année à Chantilly. C’était cependant pour éviter même la possibilité de le rencontrer qu’elle avait, la veille, envoyé Corbin là-bas avec les bêtes, au lieu d’y aller elle-même, comme c’était l’habitude quand il s’agissait de présenter un cheval mis pour dame. Elle remarqua, dans les prunelles de son interlocuteur,