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chaque matin plus pâles, ces vaines, ces impuissantes larmes, — heureuse lorsque cette crise de sanglots la prend à cheval et qu’elle peut faire sécher, au vent du galop, ces indéniables traces de sa misère cachée. Mais il arrive que l’accès éclate quand elle n’est pas seule. Si c’est devant son père, elle n’a pas trop de peine à tromper l’observation peu éveillée du bonhomme, qui a pourtant remarqué l’absence, par trop étrange, après des visites quasi quotidiennes de l’ancien propriétaire de Chemineau. Son étonnement s’est d’ailleurs borné à cette phrase, prononcée avec le mépris caractérisé qu’il prodigue aux Gallo-Romains :

— « Avez-vous des nouvelles du comte de Maligny, Hilda ?… Non. Les Français sont une drôle d’espèce. » — Comment traduire cette expression, ce funny sort, où il y a de l’indulgence protectrice et de l’ironie ? — « Celui-là ; pourtant, avait l’air gentil. » — Autre mot intraduisible, ce nice que les Anglais appliquent indifféremment à un gâteau et à un ami, à un paysage et à un livre… — « Nous le reverrons quand il aura besoin d’un bon cheval… »

Ce jugement formulé, Bob Campbell pense à des objets plus précis qu’aux blue devils[1] de sa fille. Il n’en va pas de même d’un autre personnage. On a deviné qu’il s’agit de Jacques Corbin, le cousin, auquel il a bien fallu que la pauvre enfant expliquât la rupture de ses fiançailles, puisque le hasard avait voulu qu’il les apprît, et de quelle façon ! Elle a eu cette chance que Jack fût déjà parti pour la gare, comme il l’avait annoncé, quand la lettre fatale est arrivée. Il est rentré de Londres quinze jours plus tard, surpris de ne recevoir aucune autre nouvelle de ce mariage dont il avait voulu fuir la célébration,

  1. Diables bleus.