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l’amie abandonnée n’avait pas cessé de flotter dans sa pensée, — mais de quoi se consoler amplement d’avoir eu le courage de cette rupture. Cette brève esquisse de sa vie durant ces six mois ne serait pas complète sans un dernier trait. J’ai dit qu’il s’estimait, qu’il s’admirait dans son sacrifice. Cette étonnante illusion de conscience avait encore grandi, du fait qu’il s’était interdit de rien savoir de miss Campbell. Ne voulant plus l’épouser, il n’avait pas cherché à se servir du sentiment qu’il savait lui avoir inspiré. Il n’avait pas essayé de devenir son amant. Cette toute simple loyauté lui semblait héroïque. Elle l’était bien un peu, du point de vue de sa moralité habituelle. Il n’avait pas écrit à son ex-fiancée un seul billet depuis celui que l’on connaît. Il n’avait demandé à aucun de ses amis, pas même à Raymond de Contay, — il en avait eu souvent la tentation, — de le renseigner sur elle. Un chèque d’un millier de francs, signé Bob Campbell, avec un mot britanniquement laconique du correct marchand de chevaux, à cela se réduisaient tous ses rapports avec la rue de Pomereu, depuis cette demi-année. Ce billet était, bien entendu, rédigé en anglais. Rapportons-le, traduit littéralement : « Monsieur, je suis heureux de vous annoncer que le cheval Chemineau a été vendu 1.600 francs. Je prends, suivant vos ordres, dix pour cent pour la commission. Il y a quarante-deux jours de pension à 8 francs, soit 336 francs, deux ferrures, soit 20 francs, une visite du Vet, 20 francs, 20 francs au cocher de l’acheteur, 12 francs à un de mes hommes pour deux déplacements. Il reste 1.032 francs. » Et, pour conclure, le classique : « With regards, yours truly. — Avec respects, votre sincèrement… » Enfin, la lettre d’affaires dans sa nue et sèche simplicité. Quelle signification en tirer ? Corbin avait-il prévenu Campbell, et celui-ci affectait-il une plus stricte