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à quelques guinées près. Hilda est une amoureuse vraie ! Elle souffre de savoir qu’elle n’est pas aimée. Et, cependant, il n’est pas un arbre de ces routes funestes, où ils ont tant erré ensemble, elle et Jules, au pas berceur de leurs montures, pas un buisson qui ne proteste contre cette cruelle évidence. Ces feuilles, aujourd’hui jaunissantes, sont les mêmes dont le délicat tissu vert pointait à ces mêmes branches lorsque le jeune homme venait la rejoindre, si respectueux, — et il se préparait à la traiter si indignement, — si tendre, — et il allait tant la faire souffrir !… Quand ces visions se font trop aiguës, la jeune fille donne de l’éperon dans le flanc de son cheval qui s’enlève. Ses bras se crispent et secouent les rênes au risque de blesser les barres de l’animal, et la voilà partie dans un galop où les vieux habitués des Poteaux ne reconnaissent plus la fine cavalière d’autrefois, qui calmait ses bêtes par la fixité de sa main et la sagesse de ses allures. Ils se demandent la raison de ce changement. Quelques-uns, se souvenant du printemps dernier, soupçonnent cette « petite rosse de Maligny », comme ils disent indulgemment, de n’être pas étrangère au visible énervement de miss Campbell. Faut-il ajouter que leur expérience de vieux clubmen leur sert à se tromper, tout naturellement, sur la vraie nature des relations que Jules et Hilda ont eues ensemble ? Aucun de ces Parisiens qui associent le souvenir du jeune homme à la constatation de la tristesse et des excentricités de la jolie Anglaise ne doute qu’elle n’ait été sa maîtresse. Ils seraient pris d’un rire qui les secouerait à les jeter à bas de leur cheval, si on venait leur raconter la vérité : à savoir qu’après dix semaines d’une assiduité quotidienne, sans une ombre de cour, l’héritier du grand nom de Maligny a demandé la main de la fille de Bob Campbell, qu’elle la lui a accordée en hésitant,