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mais aussi plus sûres, — de la mère de la romanesque Hilda avec le peu romanesque, mais si loyal Bob Campbell. C’était tout à l’heure qu’un piaffement sur le pavé avait annoncé le départ du trop perspicace John Corbin sur la jument baie qui avait eu, si opportunément, besoin d’un temps de galop. Déjà, Hilda n’y pensait plus. Le bonheur a de ces égoïsmes, et elle était heureuse, absolument, complètement. Qu’elle devait de fois revenir, par la suite, dans cette étroite chambre, si pauvrement meublée d’un bureau, de quatre chaises, d’un cartonnier et de cette horloge ! Comme l’aspect de ces médiocres choses, éclairées par ce soleil de cet après-midi de printemps, devait lui remplir le cœur d’un poignant regret, à les retrouver et à se souvenir ! Que de fois, par cette même fenêtre, durant des journées bleues comme celle-ci, elle devait regarder indéfiniment la longue cour et se la rappeler telle qu’elle était durant cette heure unique, — l’heure de sa vie, — traversée par un palefrenier en train de siffler un air de gigue, vide de gens et pleine d’un rayonnant soleil — moins rayonnant que les yeux de son aimé, fixés sur elle !… Est-il possible que de telles expressions d’un visage si jeune ne soient qu’un mensonge, que de tels instants ne soient qu’une chimère ? Où trouver la force de supporter la vie ensuite, quand tout vous a manqué de ce qui vous a paru si doux, si vrai, si certain ? Pourquoi Jules la regardait-il ainsi, s’il ne l’aimait pas ? Pourquoi, après lui avoir parlé d’une façon si tendrement persuasive, trouvait-il encore à lui dire des mots destinés à la convaincre davantage qu’il était sincère ? Car ce fut lui qui reprit le premier l’entretien interrompu. Il dit :

— « Quand voulez-vous que je parle à votre père pour lui demander son consentement, maintenant que j’ai le vôtre ? »