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pâleur : tout crie en vous ce que votre bouche refusera de m’avouer, ce que j’entends si bien dans votre silence !… Je suis très jeune, vous me l’avez dit tout à l’heure. J’ai, pourtant, assez vécu pour le comprendre : se marier d’après son cœur est la plus sûre garantie que l’on fondera un vrai ménage, tel que vous venez de le définir, — pour le meilleur et pour le pire, pour la joie et pour le chagrin… Je la connaissais, cette devise. Je l’avais admirée. Jamais je n’en avais senti la vérité comme aujourd’hui… » Il répéta : « Pour le meilleur et pour le pire, jusqu’à ce que la mort nous sépare… » Et, d’un accent étouffé de l’émotion que lui donnait ses propres paroles : « Je vous le demande de nouveau, miss Campbell, voulez-vous être ma femme ?… »

Il avait pris la main de la jeune fille. Elle essaya un effort pour dégager ses doigts de cette pression. Ce fut sa dernière et si faible résistance. Jamais il ne lui avait tant plu qu’à ce moment, avec sa noble et hardie physionomie, transfigurée par une passion qui n’avait plus une arrière-pensée. Il était réellement — pour combien de jours, combien d’heures, combien de minutes ? — l’homme de son discours, tant l’entraînement de son désir le possédait tout entier. Comment Hilda aurait-elle douté d’une sincérité dont une femme plus défiante et plus avisée aurait cru avoir une preuve indiscutable dans l’attitude de Jules, depuis ces dix semaines ? Quel motif, sinon un sentiment véritable, avait pu le déterminer à cette obéissance, à ces assiduités sans un doigt de cour, aussi extraordinaires chez un séducteur de profession qu’habituelles chez un amoureux ? Et puis, il se dégageait, des manières de ce singulier garçon, un tel charme d’ingénuité ! Il y a des traîtres par calcul. Il l’était, lui, précisément par sa totale absence de prévision, par cet abandon à ses impressions successives