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— « Non, » dit-elle, comme répondant à une pensée qui avait, malgré tout, surgi dans les portions froides de sa raison, « vous ne vous joueriez pas de moi, monsieur Jules. Ce serait trop mal… Mais vous êtes si jeune !… Ah ! laissez-moi vous parler avec une franchise absolue… Vous n’avez pas réfléchi que le mariage n’est pas une affaire d’un jour. Il ne suffit pas de se plaire l’un à l’autre, pour se marier. Il faut encore être sûrs, bien sûrs, que l’on est prêt à supporter ensemble toutes les épreuves de la vie. Nous avons, dans notre pays, une manière d’exprimer cela, que j’ai toujours trouvée si juste. Nous disons que les époux se marient pour le meilleur et pour le pire, pour la joie et pour le chagrin, jusqu’à ce que la mort les sépare[1]… Vous êtes un noble, monsieur de Maligny, vous appartenez à une grande famille. Moi, je suis la fille d’un simple marchand de chevaux. Vous êtes riche. Moi, je suis pauvre. Vous avez reçu une éducation accomplie. Moi, je suis une humble ignorante. Puis-je être votre femme, dans ces conditions-là ? Vous m’aimez, me dites-vous ? Aujourd’hui, je veux le croire. Mais demain, si vous m’avez épousée, mais après-demain, mais dans un an, dans dix, ne rougirez-vous pas de moi ?… Et quand vous n’en rougiriez pas, vous, votre famille, elle, en rougirait certainement. Jamais elle ne m’accepterait… Je n’avais certes pas prévu, » ajouta-t-elle, sur un ton de mélancolie qui contrastait singulièrement avec son habituelle tranquillité, « que vous me demanderiez jamais en mariage… Mais pourquoi vous cacherais-je que nos promenades ensemble, nos conversations, cette intimité si confiante, m’étaient de véritables douceurs ? Bien souvent, je me suis dit : Si, pourtant,

  1. Formule de mariage anglais : for better, for worse, for weal and for woe, until death us do part.