Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/153

Cette page n’a pas encore été corrigée

quelques jours auparavant, le prospectus d’une de ces croisières que des sociétés spéciales organisaient partout, ces années-là, et il continuait : « Voilà comment les légendes se forment… Nous avons, ce monsieur et moi, un camarade commun avec qui j’ai parlé l’autre jour, tout à fait en l’air, d’un projet de voyage… »

— « D’un voyage ? » interrogea Mme de Maligny. « Tu penses à voyager ?… Où ?… Pourquoi ?… Avec qui ?… »

Elle avait eu, pour jeter ces questions, une véritable souffrance sur son front et, dans ses prunelles soudain assombries, cette angoisse de la mère qui sait que les jours de son intimité avec son fils sont comptés. Demain, il se mariera, — donc il s’en ira de la maison. La mère elle-même voudra qu’il se marie. Hier, il s’absentait sans cesse pour d’autres motifs, et qui la torturaient d’une autre inquiétude. Comment serait-elle accusée d’égoïsme, si elle désire avidement prolonger une période telle que celle où Jules se trouvait, et durant laquelle le jeune homme reste beaucoup près d’elle, comme aux temps où il était enfant ? À quel nouveau caprice, après des semaines d’une accalmie qui avait pu lui paraître définitive, Jules obéissait-il, en posant ses premiers jalons d’un projet de voyage ? Si Mme de Maligny nourrissait beaucoup d’illusions sur son enfant, elle le connaissait pourtant très bien. Tel est l’illogisme des femmes avec ceux qu’elles aiment d’une affection passionnée : elles sont aussi lucides dans le détail des nuances d’un caractère que partiales sur l’ensemble. La veuve avait deviné aussitôt que cette phrase de son fils, jetée comme au hasard, n’était qu’une préparation à une confidence plus grave. Il allait partir ?… Le coup était si imprévu qu’elle avait pensé tout haut. Son aveu toucha l’étrange garçon qui répondit :