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subi sans le raisonner, il avait, éprouvé, pendant quelques secondes, à l’égard de l’orpheline, les sentiments de Corbin lui-même. Le magnétisme émané du fruste et admirable Don Quichotte d’écurie avait opéré ce miracle, et aussi — tant l’amour-propre a de secrets détours ! — la vanité de ne pas jouer, devant ce garçon d’écurie, lui, le gentilhomme, un rôle trop inférieur. Cette explosion de générosité avait eu pour effet cette promesse de « faire son devoir » qui, proférée de la sorte, après la démarche si nette du cousin de Hilda, signifiait que Jules quitterait Paris et voyagerait pendant de longs mois. Cette demi-heure d’entretien avait suffi pour qu’il prît cette décision.

— « Le brave cœur ! » se disait-il, en descendant à son tour les marches du vaste escalier dénudé et regagnant le petit salon ovale où sa mère continuait de travailler à son ouvrage. Elle s’appliquait indéfiniment à des morceaux de tapisseries au petit point, destinées à remplacer les revêtements usés des fauteuils et des chaises. Un demi-siècle de ce patient labeur n’aurait pas suffi pour remettre en état l’immense mobilier de l’hôtel. Cette occupation l’absorbait d’une manière si complète qu’elle n’entendit pas entrer son fils qui s’attarda, un instant, à regarder ce noble et mélancolique profil de vieille dame penché sur l’aiguille, avec une attention de bonne ouvrière consciencieuse. Le soleil continuait de remplir de sa gaie lumière l’étroit et vert jardin où Mme de Maligny avait dû promener, toute jeune, ses premières rêveries heureuses de mariée de vingt ans. À trente ans, et lorsqu’elle avait commencé d’être trahie par son mari, elle avait versé, sous ces arbres, bien des larmes, essuyées vite, aussitôt que la cloche de la porte annonçait une visite. Là, elle avait pleuré — mais, du moins, sans être obligée de se cacher —