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V

LES NAÏVETÉS D’UN JEUNE ROUÉ


Il y a, dans tout sentiment vrai, une force singulière, et qui agit un peu à la manière des énergies de la nature, auxquelles, d’ailleurs, les sentiments vrais ressemblent. N’en ont-ils pas la simplicité inconsciente, la continuité ininterrompue ? Peut-être la science arrivera-t-elle, un jour, à découvrir, dans la sorte de suggestion qu’un cœur, profondément possédé d’une pensée, exerce sur un autre cœur, une influence analogue à celle de l’hypnotisme. Quoi qu’il en soit de la cause, l’effet n’est pas discutable. Comme une ardeur contagieuse émane d’une âme profondément passionnée, une femme qui aime un homme d’un amour sincère laisse rarement cet homme indifférent, et vice versa. Qu’il se révolte contre la prise de cet amour sur lui, ou qu’il y cède, cette prise existe. La repousser, c’est la reconnaître. De là dérivent, devant l’évidence d’un grand amour inspiré, ces aversions violentes, qui sont une défense d’une personnalité effrayée de se sentir envahir par une autre.

Si cette personnalité ne se rebelle point, cette mystérieuse puissance de contagion se manifeste par d’étranges métamorphoses de caractère chez celui ou celle qui est l’objet de ce grand amour. Aucun phénomène n’est plus fréquent. Aucun n’a été moins étudié, tant on en reste, malgré d’innombrables