Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/104

Cette page n’a pas encore été corrigée

vers divins du Locksley Hall : « Sur sa joue et sur son front pâle, vint une couleur avec une lumière, — comme j’ai vu jaillir une rougeur rose dans la nuit du Nord. — Et elle se tourna, son sein secoué par un orage de soupirs, — toute son âme brillant comme une aube dans la profondeur de ses yeux bruns[1]… » Et il aurait faussé son impression en y mêlant de la littérature. Il fit mieux. Il en jouit, avec cette vivacité qui était le trait charmant de sa nature. Ce fut comme si la jolie compatriote de Tennyson lui eût fait l’aveu explicite de son sentiment. Lui-même, les inquiétudes traversées depuis ces deux jours l’avaient amené à ce point d’énervement, tout voisin des larmes chez ces natures d’homme à demi féminines. Ces soudaines poussées de pitié tendre rendent de pareils personnages si périlleux à rencontrer pour une enfant inexpérimentée ! En s’avançant vers miss Campbell, à cette seconde, Maligny éprouvait réellement l’émotion délicate et profonde qui eût été celle d’un adolescent incapable de calcul et emporté tout entier par les tumultes d’une sensibilité jeune et naïve. Voyant Hilda si émue, défaillante presque, et comprenant combien elle était dénuée de protection dans l’étrange milieu où la destinée l’avait fait grandir, un remords le saisit. Oui, il se repentit, tout d’un coup, de ne pas l’avoir respectée davantage et dans sa pensée et dans ses paroles. Pendant ces quelques instants, il oublia et sa propre expérience du vice parisien et les insinuations de ses camarades. Il oublia Machault, La Guerche, le rajah aux somptueux cadeaux ; et, avec une grâce de spontanéité

  1. On her pallid cheek and forehead came a colour and a light ; As I have seen the rosy red flushing in the northern night, And she turned, her bosom shaken with a sudden storm of sighs, All the spirit deeply dawning in the dark of hazel eyes. (Tennyson.)