Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/103

Cette page n’a pas encore été corrigée

toujours séparée du jeune homme, ou bien avoir à réprimer, chez lui, des écarts plus vifs de langage ou de manières. N’aurait-elle pas dû aussi raconter à son père ce début de conversation, et comment elle y avait coupé court par ce subit départ ? Elle s’en était tue vis-à-vis du vieux Campbell, comme aussi vis-à-vis de son cousin. Ce dernier avait, pourtant, deviné quelque chose, car il lui avait dit, en la regardant avec une expression singulière :

— « Ne croyez-vous pas, Hilda, que je devrais aller rue de Monsieur, savoir si M. de Maligny n’est pas de nouveau plus malade ?… Il devait revenir pour le cheval et il n’a pas reparu… »

— « Il reviendra demain ou après-demain, » avait-elle répondu ; et elle avait ajouté, sûre qu’en intéressant la fierté professionnelle du digne garçon elle l’empêcherait d’exécuter son projet : « En tout cas, vous auriez bien tort de passer chez lui. Il croirait que nous voulons lui forcer la main pour cet achat. »

— « Juste… », avait grommelé Jack Corbin, sans que le soupçon, apparu dans ses yeux, se dissipât entièrement. Aussi la jeune fille, que cette perspicacité gênait, fût-elle soulagée d’un poids véritable à se dire que son cousin n’était pas là, lorsqu’elle aperçut, du fond de la loge vitrée où elle libellait des factures arriérées, Jules de Maligny entrant dans la cour. Elle avait levé la tête, bien par hasard, à cette minute-là. Elle se courba aussitôt sur le grand-livre, dont elle relevait les chiffres, non sans que la flamme du sang monté à sa joue ne décelât son émotion. Si Jules avait consacré, à feuilleter les poètes anglais ; le quart seulement du temps dépensé autour des tables de baccara, il aurait pu se rappeler à l’occasion de ces folles rougeurs, dont il avait déjà vu, à plusieurs reprises, ce frais visage comme incendié, les