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roman d’amitié qui fut le charme de cette entrée du jeune savant dans la pensée libre, et déjà dans la renommée ? Sa sœur Henriette, revenue de l’étranger, habitait avec lui, participant à tous ses efforts, inspirant toute son énergie. Elle réalisait, cette sœur un peu jalouse et farouche, mais d’une incomparable délicatesse de sensibilité, cette chimère de l’amie idéale et bienfaisante, qui joint à la grâce de l’esprit de femme la beauté morale d’un grand cœur d’homme. Il n’était aucune des recherches de son frère auxquelles elle ne pût s’associer, aucune de ses subtilités qu’elle ne pût comprendre, aucune joie qu’elle voulût recevoir, sinon de lui, aucune peine qu’elle ressentît, sinon les siennes. Et quand elle mourut au cours d’un des voyages qu’elle fit avec son frère en Syrie, l’homme déjà illustre, auquel elle avait voué sa vie, put déposer sur son tombeau, comme une précieuse couronne de fleurs qui ne se faneront jamais, cette dédicace de la Vie de Jésus, sa plus admirable page peut-être et la plus suave : « Te souviens-tu, du sein de Dieu où tu reposes… » Il avait perdu en elle le bon génie de ses plus nobles heures.