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des âmes, il vivait avec eux. Les lecteurs du M. Renan désabusé, mais si merveilleusement artiste, de 1883, peuvent deviner de quel amour l’abbé Dupanloup dut entourer la plante grandissante de cette rare imagination. Peu de sentiments sont aussi féconds en profondes, en pures délices : voir une intelligence adolescente, et qui s’ouvre aux divines impressions des chefs-d’œuvre, comme une rose s’ouvre au soleil ; — la voir et la suivre et l’aider ; être pour elle ce que l’air léger, ce que le vent tiède, ce que les pluies bienfaisantes sont pour la fleur ; participer à cette éclosion d’une pensée ; devenir en quelque sorte, et d’une façon en un certain sens irréparable, l’esprit d’un esprit, j’allais dire l’âme d’une âme ; — n’est-ce pas la poésie même de l’éducation et la rançon de tous les dégoûts qu’entraîne avec soi la discipline de l’enfance ? Cette poésie, il est vrai, demeure le plus souvent le rêve ironique et impossible à posséder qui fait mieux sentir par le contraste ce qu’il y a de trivial et de médiocre dans la réalité. L’abbé Dupanloup, lui, à force d’enthousiasme, triomphait de cette réalité triviale et médiocre : « Il fut pour moi, avoue M. Renan, ce qu’il était pour tous, un principe de vie, une sorte de Dieu… »