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pait de l’élève, et à la séance du vendredi, où il se faisait lire, devant tous les élèves assemblés les places et les notes de la semaine, il savait trouver la phrase qui allume dans le cœur des adolescents la réchauffante étincelle de l’orgueil littéraire… « J’étais cinquième seulement ou sixième, — ah ! fit le directeur, si le sujet eût été celui d’une lettre que j’ai lue ce matin, Ernest Renan eût été le premier[1] ». — Il suffit de se rappeler le collège et ce qu’il peut tenir d’émotion intime dans l’attente d’une bonne ou d’une mauvaise parole du maître pour comprendre la dictature morale que l’abbé Dupanloup exerçait ainsi sur ses élèves. Le règlement voulait que tous les soirs une demi-heure fût consacrée à la lecture d’un ouvrage de piété. L’abbé avait pris pour lui-même cette demi-heure, et il parlait à ces enfants, de dogme parfois, et parfois, j’imagine, de littérature ; d’autres fois un événement, personnel au supérieur ou à l’un des enfants, faisait la matière de l’entretien. En un mot, cet incomparable éducateur vivait uniquement pour ses élèves, et, ce qui est la vraie méthode pour séduire et dominer

  1. M. Renan, Souvenirs.