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somme ; quand je l’arracherais à l’affreux vice, par quel moyen lui restituer sa jeunesse, toutes les possibilités perdues, comment réparer l’irréparable ? S’il n’y a pas de Dieu, j’en suis là… S’il y en avait un pourtant, si l’action humaine avait un autre horizon que celui-ci, je pourrais mériter pour ce malheureux… Ce n’est pas d’aujourd’hui que ces idées me hantent. Depuis que j’ai vu des sœurs dans les hôpitaux faire le service des malades, sans autre soutien que l’idée qu’elles méritaient pour d’autres, j’ai beaucoup pensé à ce que les chrétiens appellent la réversibilité. Toute la question est de savoir si l’expérience nous montre ou non ce phénomène dans la nature… Voici des années qu’il m’apparaissait comme la seule interprétation de tant de choses, et je te défie d’expliquer autrement la dure épreuve qui m’accable. Oui ou non ? Suis-je frappé pour la faute de mes parents ? Et ce Robert lui-même, de quoi est-il la victime, sinon de la faute de son père ? Que j’en ai vu de ces répartitions, et, derrière elles, il faut bien un pouvoir répartiteur. S’il y a une réversibilité du mal, il doit y avoir une réversibilité du bien… Ce ne sont pas des théories, cela, c’est de l’expérience. Et c’est de l’expérience aussi que cette justice inévitable, dont ma pauvre mère a eu l’épouvante dix ans durant, et qui l’a frappée, comme elle a dit, à travers moi. Derrière la justice, il faut bien un juge. Derrière l’échéance, il faut bien un créancier… » — « Et tu conclus ? » lui demandais-je, comme il se taisait. — «