mortelle douleur, et de faire du bien au malheureux du faubourg Saint-Jacques. Tu lui dois de lui restituer l’argent qui est à lui, d’abord, puis de l’aider à s’affranchir du terrible esclavage, à se guérir de cet alcoolisme où il est en train de sombrer, où il aurait toujours sombré, sois-en sûr, aussi bien riche que pauvre. Et si tu l’en guéris, vous serez quittes, je m’en porte garant sur mon honneur… » — « Non, » répliqua-t-il, en regardant devant lui d’un regard où je retrouvai cette admirable ardeur de vie spirituelle, qui m’avait fait son ami du coup, dans notre rencontre au jardin du Luxembourg : « Non, » insista-t-il, « ce n’est pas assez… » Et comme si, par une mystérieuse communication intérieure, dans cette minute d’une confidence solennelle, le même souvenir nous était réapparu à tous deux : « Te rappelles-tu, » continua-t-il, « quand nous nous sommes revus après le collège, nos discussions d’idées, et les raisons qui m’ont fait commencer mes études de médecine ? Je te disais que j’avais soif et faim de certitude. J’avais cru la trouver, cette certitude, dans une espèce de pari à la Pascal. Tu te rappelles encore ? Je rêvais d’un emploi d’existence justifiable dans l’une et dans l’autre hypothèse, que Dieu existe ou n’existe pas, qu’il y ait une liberté ou qu’il n’y en ait pas, une autre vie ou le néant… Hé bien ! je suis arrivé à un moment où cette double hypothèse n’est plus possible. Je suis acculé à l’alternative. Tu me parles d’argent à restituer, de soins à donner ? Mais quand je paierais à ce Robert vingt fois, trente fois, cent fois la
Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/92
Cette page n’a pas encore été corrigée