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j’étais si fier, je me répétais que c’était du vol, du vol, du vol, que j’avais eu tout cela aux dépens d’un autre, avec l’argent d’un autre, et cet autre, je le revoyais dans cette ignoble chambre, avec son ignoble face, parlant cet ignoble langage, et toute son abjection retombait sur moi. J’avais beau me dire ce que ma mère m’avait dit, que je n’en étais pas responsable. Il y a des choses qui ne se discutent pas plus que la vie ou que la mort. Ça est ou ça n’est pas. Cette responsabilité était sur moi, en moi. Si tu te trouvais savoir qu’un bijou qui t’a été donné, une bague, provenait d’un assassinat, tu ne la porterais pas une seconde, tu l’arracherais, tu la jetterais, pour ne pas avoir de sang sur ta main. Moi, est-ce que je peux m’arracher mon cerveau, et, avec lui, tout ce qui me vient du meurtre de l’autre ? Car c’est un meurtre, ce qu’ils ont fait. On assassine autrement qu’avec des armes à feu et des poisons. On tue un être en lui enlevant ce qui l’aurait fait vivre. C’était là, au premier moment, ce qui me rendait fou de honte et de douleur : que cet argent volé ait passé dans mon esprit, que je ne puisse pas rendre ce dépôt, dont ces malheureux ont abusé à mon profit. Mais je le rendrai… Je le rendrai… » — « Te voilà dans le vrai, » lui répondis-je, « ta pauvre mère avait raison, quand elle te disait que tu n’es pas responsable de ce qu’ils ont fait pour toi, ton père et elle. Crois-moi, ton devoir est tout simple, et tu l’as trouvé du premier coup en écoutant ton cœur, qui t’a commandé de plaindre ta mère, d’épargner à la vieillesse de ton père une