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militaire à faire ou à ne pas faire. C’était tout l’avenir ! Ah ! si l’autre avait été comme toi, si nous avions pu penser que cet argent ne serait pas perdu pour lui, qu’il l’emploierait à devenir quelqu’un, la tentation ne nous aurait pas saisis… Je sais, nous n’avions pas le droit. Cet argent était à lui, pas à nous… Mais tu en étais si digne, Eugène, et lui si peu ! Et nous avons succombé… » — « Et vous n’avez pas pensé, » reprit Eugène, « que précisément à cause de sa faiblesse de caractère, cet autre avait plus besoin que moi de cet argent ?… Vous ne vous êtes pas dit que, lui enlever cette petite fortune, c’était le laisser plus désarmé devant la vie, qu’avec son manque d’énergie, une fois sans ressources, il tomberait de plus en plus bas, et que c’est moi, votre fils, qui en serais responsable ?… » — « Toi ? » s’écria la mère : « Toi, toi, responsable ? Ne dis pas cela, mon enfant, ne le pense pas… Ni toi, ni ton père… C’est moi qui ai tout fait, » continua-t-elle en se frappant la poitrine, comme elle faisait à l’église, « C’est moi qui prends tout sur moi… C’est moi qui ai eu l’idée d’employer une partie de l’argent, d’abord à ton volontariat. C’est moi qui ai décidé Corbières. Il ne voulait pas. Je l’ai entraîné… Il voulait ensuite continuer tout de même la pension à l’autre, en prenant sur le capital. C’est moi qui l’ai empêché. J’ai eu peur que l’argent ne nous manquât pour la fin de tes études. Et puis, c’était fait… Je te dis que je t’aimais trop, plus que mon salut éternel, plus que Dieu. Voilà mon péché.