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longtemps. Dieu a eu pitié de moi… Oui, » continua-t-elle, plus exaltée encore, « je savais que ce serait la délivrance, si tu connaissais tout, si je pouvais te parler, t’expliquer, si j’avais cette douleur dans cette vie. Tu aurais toujours tout su, au jour du jugement dernier, quand on verra le fond des cœurs, et alors c’eût été trop horrible… » Puis, fermant les yeux, et avec un frémissement : « Je suis prête à boire le calice. Le bon Dieu m’en donne la force… Eugène, dis-moi tout ce que tu sais, tout, et je te dirai ce qui est vrai, ce qui ne l’est pas… Tu dois m’obéir, mon enfant, puisque je suis ta mère, qui ne t’a que trop aimé… Interroge-moi, je te l’ordonne, pour qu’il n’y ait plus rien entre nous que la vérité… » — « J’essaierai, » dit Eugène après un silence. Il éprouvait, devant l’attitude soudain si ferme de cette femme qu’il connaissait si troublée, si hésitante, un sentiment de respect d’autant plus étrange qu’il était venu pour avoir une explication qui, par elle-même, était un outrage. Mais il y a, dans l’acceptation héroïque de certaines épreuves, une secrète grandeur devant laquelle doit s’incliner même le juge qui condamne ; et c’est avec cette émotion — la plus noble qu’il pût avoir à cette seconde, la seule qui le sauvât du parricide moral, dans cet interrogatoire — qu’il continuait : « Est-ce vrai que ce malheureux qui habite là-bas, rue du Faubourg-Saint-Jacques, ce Pierre Robert, est l’enfant adultérin d’un protecteur de mon père ? » — « C’est vrai, » répondit-elle, « de M. Pierre-