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la douloureuse fièvre, ce sourire qui jouait sur des traits dont il suivait l’altération depuis des jours ; il en savait aujourd’hui la cause. Et voici que tout d’un coup, devant cette malade qui l’avait porté dans son sein, nourri de son lait, — malade du remords d’un crime qu’elle avait commis pour lui, — le fils sentit sa révolte indignée s’arrêter, s’abattre, se fondre en un poignant attendrissement qui le fit trembler tout entier. Cependant la vieille femme, dont les yeux âgés, dans l’ombre de la petite antichambre n’avaient pas vu aussitôt le bouleversement de sa physionomie, refermait la porte avec les précautions accoutumées, et elle commençait, lui racontant comme toujours l’humble chronique familiale de son intérieur : — « Mon Dieu ! Si j’avais su que tu venais ce matin, » disait-elle, « je t’aurais fait un vrai déjeuner, des œufs aux tomates comme tu les aimais. Il y en avait de fraîches au marché de la rue Monge, où je suis allée. Et le père est sorti, justement. Il ne se sentait pas très bien ce matin. Il souffre toujours de ses étouffements. Il faudra que tu l’auscultes encore… Mais qu’as-tu toi-même, mon enfant ?… » Elle venait en effet, tout en lui parlant, d’entrer à sa suite dans la salle à manger. Elle l’avait regardé à la pleine lumière, et ce regard lui avait suffi pour deviner que son fils était sous le coup d’une émotion extraordinaire : — « Mon enfant ! » répéta-t-elle. « Mon enfant ! Mon Eugène !… Ah !… » Elle n’acheva pas. Ce cri que poussait son cœur