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t’arrache la vie, c’est toi-même… » Ce dialogue de l’éternelle Clytemnestre et de l’éternel Oreste me revenait à la mémoire, et j’avais peur. Quand, plus tard, Eugène me raconta par quelles sensations il avait passé durant cette heure qui fut vraiment l’heure de sa vie, celle où toute sa destinée d’homme s’est résolue, j’ai compris combien j’avais eu raison d’appréhender une scène tragique, et un dénouement terrible à cette terrible aventure : — « Ma résolution était prise, » me dit-il, « je voulais les interroger, savoir la vérité d’eux aussi, la leur faire avouer, les maudire et me tuer ensuite… » C’est le cœur remué par des sentiments de cette violence que le malheureux garçon arriva devant la porte de ses coupables parents. Dans cette crise aiguë de révolte intime, son existence passée lui causait une telle répulsion que cela lui fit mal de sonner les deux coups habituels. Ce signal convenu, auquel il était sûr qu’on répondrait, lui représenta pour un instant les longues années qu’ils avaient vécues ici, eux et lui, — eux les voleurs, lui leur complice. Nul doute que, si le pas de son père s’était approché en ce moment, et si, la porte une fois ouverte, il avait eu en face de lui un visage d’homme, sa colère ne se fût soulagée en un éclat irréparable. Par bonheur le vieux Corbières n’était pas au logis. Eugène reconnut par delà cette mince cloison la démarche légère de sa mère, et quand le pêne eut glissé dans la serrure, il trouva pour l’accueillir les yeux et le sourire de la vieille femme, — ces yeux dont il comprenait maintenant pour la première fois