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s’était montré, dans son entretien avec moi, ni injuste ni féroce… Je raisonnais de la sorte, et j’oubliais qu’un maniaque d’alcool, comme lui, est toujours près, sous l’excitation de la seconde, de commettre les actes les plus opposés à son propre caractère, à sa volonté la plus réfléchie. Celui-ci avait certainement pensé, dans ses mauvaises heures, à s’adresser au fils. Il avait toujours reculé devant cette infamie. J’allais constater que l’instinct de vengeance, éveillé à l’improviste, devait être le plus fort. Il était même étonnant qu’un scrupule, après tout bien magnanime, eût résisté si longtemps chez un être aussi dégradé. L’alcoolique n’avait pas été maître de sa parole avec moi. Pourquoi le serait-il redevenu, dans ce quart d’heure, et en présence de la personne qui remuait chez lui les souvenirs les plus amers ? Sans que j’en eusse une conscience très nette, toutes ces idées contradictoires s’agitaient, se battaient dans mon esprit, tandis que j’attendais mon ami. J’étais devant la porte de la maison, maintenant. Le besoin de tromper ma fièvre par du mouvement, m’avait fait quitter l’escalier et même la cour. Je me tenais sur le trottoir, à compter les minutes, et à me demander si je ne devrais pas remonter moi-même là-haut, en proie à une des plus mortelles angoisses qui m’aient jamais supplicié, quand Eugène Corbières apparut sur le seuil de cette porte de la maison de misère. Nous nous regardâmes. L’autre lui avait tout dit.