Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/73

Cette page n’a pas encore été corrigée

Tu n’iras pas ! » m’écriai-je, en me mettant en travers de l’escalier. Je n’eus pas plutôt poussé ce cri que j’en compris l’imprudence, et j’essayai de la réparer en ajoutant : « C’est inutile et c’est dangereux. Ce Robert n’exploite déjà que trop ton père… » — « Tu ne me dis pas la vérité… » répéta Eugène avec un accent plus âpre, et avant que j’eusse pu même prévoir son action, il m’avait écarté d’un mouvement brutal, et s’était élancé vers l’étage supérieur, en gravissant les marches quatre par quatre. Je demeurais là, paralysé d’émotion, et sans plus rien tenter. Sachant ce que je savais, il me semblait, dans cet escalier de maison borgne, sentir sur mon front un souffle de fatalité. La rencontre entre ces deux hommes m’apparut comme inévitable. Il valait mieux qu’elle eût lieu maintenant et que je fusse là, pour soutenir mon ami, à la minute même où il recevrait le coup terrible, — s’il devait le recevoir ? Je me forçai, dans la cage de cette funèbre caserne de pauvres, à espérer qu’un dernier reste d’humanité arrêterait le réfractaire. Le fait qu’il eût borné ses demandes d’argent aux parents Corbières, quand il lui était si aisé d’exercer un chantage sur Eugène, me frappa tout d’un coup comme très significatif. Il me l’avait dit lui-même, en y insistant presque. J’y voulus voir la preuve d’un scrupule devant une révélation si meurtrière, si injuste aussi. Le fils n’était pour rien dans la faute du père. S’il en avait profité, c’était à son insu, et la lui dénoncer était une férocité. Pierre Robert ne