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C’est bien vrai que je les terrorise un peu de temps à autre aussi… Il faut bien s’amuser. La vie n’est pas gaie. Heureusement, ça ne durera pas toujours, comme on écrivait sur les voitures des remplaçants, vous rappelez-vous ?… » Il eut encore un accès dans son sinistre rire. Puis, avisant le napoléon que j’avais placé sur la table, il le prit et le glissa dans la poche du tricot qui lui servait de gilet par-dessous sa redingote, et, se levant de sa chaise, il fit le geste de me reconduire vers la porte, en me disant : « Je vous remercie, monsieur. Mais, répétez-leur que ce n’est pas la peine de m’envoyer d’autres personnes charitables, pour m’engager à quitter Paris… Ce n’est pas la peine… A toutes celles qui viendront de leur part, à toutes, vous entendez, je raconterai leur histoire et je ne quitterai point Paris, je ne le quitterai point, et j’irai chez eux, et ils me recevront, répétez-le leur. Adieu, monsieur, adieu… » Ce fut seulement en me retrouvant hors de la chambre où j’avais reçu cette tragique confession, que j’en réalisai la conséquence immédiate, avec un tremblement d’épouvante que je ne me rappelle avoir éprouvé ni auparavant, ni depuis. Eugène Corbières m’attendait en bas. Qu’allais-je lui dire ? Mon appréhension d’affronter son regard inquisiteur était si forte que mes jambes flageolaient en descendant les marches de cet escalier au terme duquel il me faudrait pourtant arriver. Et alors ?… Je me souviens. Je m’arrêtai plusieurs minutes sur