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d’un mystère épais autour des vieux Corbières, le fond de tristesse sur lequel ils vivaient, si peu en rapport avec leur dévotion à leur enfant, les confidences de celui-ci, ces derniers temps et ce matin encore, tout s’expliquait par cette révélation que l’ivrogne précisait maintenant : — « Une preuve à fournir en justice, voilà ce dont j’ai parlé… Mais des preuves pour moi, j’en ai trop… Voulez-vous les savoir ? Avant de mourir, mon père m’écrivit. J’ai sa lettre là. Il m’y disait qu’il était mon père et non mon parrain. Il me défendait de jamais chercher à voir sa veuve et ses autres enfants. Il poussait le scrupule jusqu’à ne pas m’apprendre son vrai nom. Monsieur, j’ai été bien malheureux, je vous le jure. J’ai toujours obéi à cet ordre d’un mort. Jamais je n’ai rien demandé ni à cette femme ni à mes frères. Ils sont deux, à leur aise, et qui m’aideraient. Je ne le veux pas. Mon père ajoutait qu’il avait assuré mon avenir et que je recevrais quinze cents francs par an jusqu’à mes trente ans et un petit capital alors. C’est ce chiffre de rente qui me faisait calculer que la somme a dû être de trente-cinq à quarante mille francs. Dans son parti pris d’absolue séparation entre la vie de son ménage régulier et ma vie, il ne me disait ni qui me remettrait cette rente et ce capital, ni comment il avait voulu que même ce moyen de remonter jusqu’à ses enfants me fût interdit. J’ai tout su pourtant depuis. J’ai su qu’il était mort d’une maladie qui avait éclaté comme un coup de foudre. Elle ne lui a pas permis évidemment de prendre des mesures