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la rangée des livres, parmi lesquels je distinguai, placé en évidence sur le rayon, un volume relié en maroquin vert, aux armes de l’Empire, et sa tranche dorée. « C’est un Horace que je relis quelquefois : je n’ai pas oublié tout à fait mon latin. » « Qui fit Mœcenas, ut némo, quam sibi sortem, « Seu ratio dederit, seu fors objecerit, illâ « Contentus vivat… — « Content de son sort !… Je ne peux vraiment pas l’être du mien. Jugez-en, monsieur. J’entre dans l’armée à vingt et un ans. Je choisis l’artillerie. Je me dis : avec mes diplômes et ce que je sais de mathématiques, j’arriverai à l’École de Versailles. Dans trois ans, je serai officier… Je tombe sur un maréchal des logis à qui ma tête déplaît. Je mets deux ans à être brigadier, — deux ans, avec mon instruction, oui, monsieur ! — Ce n’est que la quatrième année que je peux me présenter à l’École. J’y suis reçu. Pendant mon temps de régiment, je n’étais pas heureux. Je buvais un peu. C’est bien naturel, voyons. Le colonel qui commandait l’École m’en voulait. Je ne sais pourquoi. Il me rencontre, un soir, comme je rentrais, passablement gai, mais rien que gai. S’il avait eu le moindre tact, il m’aurait laissé passer sans avoir l’air d’y prendre garde. Au lieu de cela, il me colle aux arrêts, et, deux jours après, j’étais renvoyé. Je rentre au régiment. Mes cinq ans finissaient. Je rengage dans l’artillerie de marine. Il ne fallait plus songer à Versailles. C’est dommage. J’aurais fait un bon officier. J’y vois