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plus encore que d’habitude. Il faut te dire que j’avais laissé maman la veille avec une mine inquiétante. La visite des malades avait été plus courte que je ne pensais. Je calcule que j’ai le temps, avant l’école pratique où j’avais rendez-vous, de passer rue Amyot prendre des nouvelles. J’arrive. Je monte les trois étages, et, sur le palier, comme j’allais sonner deux coups, — c’est depuis vingt ans ma manière d’annoncer ma rentrée, — j’entends des éclats de voix qui viennent de l’intérieur. On eut dit que l’on se disputait derrière la porte. Impossible de distinguer les mots, mais je reconnais une des voix, celle de mon père. L’autre, non. Une minute je tendis l’oreille, sans rien saisir que des bribes de phrases, entre autres cette exclamation poussée par mon père, à deux reprises : « Mais c’est une honte, c’est une honte !… » Tout d’un coup, la pensée que, si la porte s’ouvrait, je serais surpris par lui ou par ma mère à jouer le rôle d’espion, me fît prendre la poignée de la sonnette. Au double tintement qui révélait ma présence, les voix se turent. Le pas de mon père s’approcha. J’étais dans un de ces moments où la machine nerveuse est si tendue qu’elle enregistre les plus petits signes. Rien qu’au craquement du parquet sous son pied, j’aurais deviné que mon père tremblait. Je l’aurais deviné aussi, à la manière dont il fit jouer la serrure, en s’y reprenant à trois fois. Il était si déconcerté qu’à peine trouva-t-il les mots pour répondre à ma question : « Tu étais avec quelqu’un ? Je te dérange ? » — « Pas du tout, » fit-il. et il continua « La maman n’est pas là. Mais si tu