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es témoin. Si j’ai eu mon temps à moi, tout mon temps, si je n’ai subi aucun esclavage de métier, eux seuls l’ont permis, en se dévouant à moi, d’un dévouement qui est allé du petit au grand, toutes les heures, pendant des années. Et je ne l’acceptais, moi, ce dévouement, qu’avec l’espoir, avec la certitude de dorloter leur vieillesse. Et ils me la dénient, cette pauvre joie, dont l’attente me justifiait, vis-à-vis de moi-même, de tant recevoir d’eux… »

— « Ne te laisse pas aller à ce sentiment, » interrompis-je, « il n’est digne ni de toi ni d’eux. Il y a des cœurs envers qui c’est être ingrat que de vouloir être reconnaissant. On doit prendre ce qu’ils vous donnent comme ils vous le donnent, sans compter… On les paie en les aimant… »

— « C’est parce que je les aime, » reprit-il, « et parce que je sais combien ils m’aiment, que leur attitude vis-à-vis de moi me tourmente. Tu te souviens que j’ai cru à quelque phobie. Le mot t’avait même amusé. J’ai pensé que ma mère surtout, dont je sais le catholicisme tout méridional, pouvait être dominée par quelque hantise de scrupule… Bref, depuis que je ne t’ai vu, il y a un mois, j’ai renoncé à discuter avec eux cette question qui devrait être si simple, n’est-ce pas ? Je me suis installé rue Bonaparte, dans mon nouvel appartement, en leur gardant la chambre que je leur avais préparée… Et, malgré moi, je me suis mis à les regarder. Le mot peut te paraître étonnant, puisque je ne les ai jamais quittés. C’est ainsi pourtant. Sauf à l’époque où j’avais craint, pour ma mère, un commencement