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si pleins de la belle ardeur claire de l’étude, je lisais comme une angoisse implorante, celle d’un homme sur le point de hasarder auprès d’un autre une démarche qu’il voudrait ne pas même voir discutée. Il n’y mit d’ailleurs aucune diplomatie, et ce fut avec une décision toute chirurgicale qu’il m’aborda :

— « J’ai un service très délicat à te demander. Je commence par te déclarer que, si tu ne juges pas à propos de me le rendre, je n’en serai pas offensé. Je te prie seulement de réfléchir avant de me répondre non… »

— « Je te promets de faire tout ce que je pourrai pour te répondre oui, » dis-je, sur le même ton sérieux qu’il venait de prendre pour me parler. Sachant son aversion pour tout étalage, une telle entrée en matière annonçait chez lui une décision raisonnée, et je l’estimais trop pour ne pas me placer aussitôt au diapason de gravité qui était le sien.

— « Merci, » reprit-il, en me serrant la main. Puis, sans autre préambule : « Je t’ai raconté avec quelle étrange obstination mes parents ont définitivement refusé d’habiter avec moi. Je t’ai dit aussi que ce refus n’était qu’une conséquence d’un parti pris général, celui de ne rien changer à leur train de vie, alors qu’ils le peuvent et qu’ils le doivent. C’est comme s’ils craignaient, en participant à ma vie, de participer à une fortune mal gagnée, et cependant tout ce que j’ai, tout ce que j’aurai au monde, c’est le résultat de mon travail et du leur. C’est eux qui m’ont fait ce que je suis, par leurs Sacrifices. Tu en