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répète, je ne peux m’empêcher d’y retrouver, moi aussi, ce châtiment que la croyante redoutait, et je pense à l’étrange dicton où les Italiens justement, ces cousins germains des Provençaux, ont résumé, avec leur vive imagination, ce retour de la faute sur celui qui l’a commise : « la saetta gira, gira, » — disent-ils, « la flèche tourne, — torna adosso a chi la tira, et elle retombe sur qui la tire. » Il y avait un mois peut-être qu’Eugène avait déploré, dans les termes que j’ai rapportés, l’obstination de ses parents à ne pas vivre avec lui. Je ne l’avais plus revu depuis lors, et je ne m’en étais pas trop étonné, connaissant les exigences de son travail. Je ne me doutais pas que, pendant ces quatre semaines, sa pensée était occupée de tout autre chose que des maladies de la dénutrition, — l’objet favori de ses études ; — et qu’il inaugurait, presque malgré lui, une enquête dont la poursuite l’eût fait reculer peut-être, s’il en eût deviné l’aboutissement. Mais non. C’était une de ces intelligences viriles, — on les compte, même dans sa profession, — pour lesquelles aucun sentiment ne prévaut contre le courageux désir de vivre dans la vérité, si dure soit-elle. Je le revois encore, au terme de ces quatre semaines, entrant chez moi, un peu avant onze heures. C’était un moment incommode pour lui à cause de ses travaux, et qui seul indiquait une circonstance exceptionnelle. L’expression de son visage l’indiquait davantage encore. Une évidente contrainte crispait ses traits, et dans ses yeux, si transparents d’habitude,