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ère sur cette frêle chose immobile, hier un joyeux, un insouciant enfant… Il était là, encore, auprès d’elle, avec le reflet de ce clair soleil sur ses boucles dorées… La vision se fit si précise, si obsédante que la mère éprouva l’irrésistible désir de donner une pâture réelle à sa tendresse, le besoin de faire une action où ce fils idolâtré fût mêlé, un appétit passionné de le servir. Elle commença de cueillir les brins les plus beaux, parmi ces touffes de bruyère blanche, pour les lui porter et en parer sa chambre. Depuis le jour où la dépouille de l’enfant avait quitté la villa pour le cimetière — cette villa ironiquement nommée « la Villa Rose » — la mère n’avait pas permis qu’un seul meuble fût changé dans cette chambre. Elle avait déjà obtenu de son mari qu’aussitôt revenu, il achèterait la maison, louée d’abord à cause du voisinage de Toulon, quand le lieutenant de vaisseau était attaché à ce port. Que de femmes ont ainsi, mères, épouses ou filles, tenté de prolonger l’existence d’un être adoré, en lui conservant tous les objets qui lui furent familiers ? Et puis la prêtresse de ce culte domestique disparaît elle-même, et les reliques qui firent son trésor ne sont plus que la vénale défroque d’un mobilier usé et démodé. Qui blâmera un cœur fidèle de défendre un peu, contre l’inévitable destruction, ce cadre d’humbles et précieuses choses, si personnelles qu’elles sont presque des personnes ? Depuis ces quatre mois, la mère n’avait jamais manqué d’aller, chaque matin et chaque soir, dans cette petite chambre à coucher où le dernier soupir de