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apaisement, beauté, cette phrase monstrueuse qu’elle cria tout haut, à qui ? à la nature ? à Dieu ? au printemps ? — « Ah ! Si seulement l’un d’eux était mort aussi !… » Elle s’entendit prononcer, ces mots, où s’exhalait la frénésie de sa souffrance, avec une sorte de stupeur, qui la fit se relever du banc de pierre où elle s’était assise. Elle passa les mains sur ses yeux, comme pour exorciser la tentation de cet abominable souhait, et elle recommença de marcher à travers le bois, d’un pas rapide maintenant, comme si elle eût voulu fuir le trop lumineux paysage, fuir la vue du chemin par où devaient revenir ses beaux-enfants, fuir ses pensées, se fuir elle-même. Elle allait, choisissant, dans cet immense parc à demi-sauvage, les sentiers étroits, presque impraticables, où les ramures séchées accrochaient sa robe, où les pommes de pin craquaient et glissaient sous son pas, où ses mains écartaient sans cesse quelque arbuste épineux, quelque branche trop haute de bruyère. Et en même temps qu’elle marchait de la sorte, meurtrissant, avec un sauvage délire, ses pieds aux aspérités du chemin, ses doigts aux rudesses des feuillages, sa pensée allait, allait, elle aussi. Le violent sursaut de haine qu’elle venait de subir à nouveau contre ses beaux-enfants s’était apaisé. Mais il lui en restait au cœur une lassitude plus grande, et ce fond d’invincible répulsion qu’elle s’avouait à présent, qu’elle jugeait presque légitime, comme la représaille permise de son malheur.