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eait le contraste, entre cette fête de la vie, épanouie autour d’elle, et son irréparable deuil, se ramassaient dans cet étrange sentiment d’une irrésistible antipathie contre le bonheur de ses beaux-enfants. C’était dans les profondeurs de son être intime, le soulèvement d’une colère envieuse qui lui faisait honte sans qu’elle pût s’en rendre maîtresse. Oui, elle enviait, à ce demi-frère et à cette demi-sœur de son André, tout ce printemps que son cher petit mort ne pouvait plus respirer, tout cet avenir illimité que leur adolescence avait devant soi. Elle s’étonnait elle-même de leur en vouloir avec cette frénésie d’aversion, et sans qu’elle en pût donner d’autre motif, sinon qu’à la seule idée de leur visage, elle se sentait des entrailles de marâtre, et, contre ces fruits du premier lit, une instinctive, une furieuse horreur, dont elle ne se croyait pas capable… Certes, c’était bien injuste. Mais y a-t-il une justice en ce monde ? Non, les deux enfants ne méritaient pas que la seconde femme de leur père, celle à qui l’absent les avait confiés, les enveloppât l’un et l’autre dans cet inique ressentiment. Mais elle-même, avait-elle mérité que son ange lui fût ravi de cette soudaine et terrible manière ?… Cette femme, qui avait été pieuse et douce, indulgente et dévouée, qui l’était encore, dans ses actions, par la force acquise de ses premières vertus, subissait cette dépravation de la douleur trop constamment aiguë et trop intense : un démon de méchanceté, de férocité presque, s’agitait en elle, qui lui arracha soudain, devant ce paysage où tout était harmonie,