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lui avait pris son enfant. Assise sur la chaude terrasse, elle regardait de ce machinal et indifférent regard de désespoir. De tous les points de l’admirable horizon des images s’élevaient pour elle, et des cortèges d’idées suivaient ces images, qui lui rendaient plus précis, plus intolérables les moindres détails de son malheur. Cette mort presque soudaine d’un garçon de six ans, emporté par une méningite en quelques jours, c’était déjà une bien dure épreuve. Des circonstances personnelles en avaient aggravé le poids encore, et la jeune femme les réalisait à nouveau, une par une, devant ce paysage, chargé pour elle de tant de passé… Cette eau miroitante du paisible golfe, c’était la mer, l’infranchissable mer, sur laquelle Ludovic de Fresne, son mari, avait dû partir pour l’extrême Orient, dix mois plus tôt. Elle avait accompagné le lieutenant de vaisseau à Toulon, épouse si tourmentée, mère si heureuse ! Et maintenant qu’elle aurait eu tant besoin de lui, pour supporter l’horrible chose, des milliers et des milliers de lieues les séparaient l’un de l’autre. Quand reviendrait-il lui dire les paroles qui lui rendraient le courage de vivre pour faire son devoir ?… Quel devoir ? Le son de la cloche qui annonçait la messe, à laquelle sa révolte intérieure l’empêchait d’assister, le lui répétait trop nettement. Si Mme de Fresne s’était mise debout, elle aurait pu, sur le ruban de route, qui, de la porte de la villa, serpente à travers les bois jusque vers la chapelle, apercevoir une voiture traînée par un poney, et, dans cette voiture, deux enfants en deuil