Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/356

Cette page n’a pas encore été corrigée

it grand-père s’absenta, vers cette époque, pour quatre ou cinq jours. Il fit un voyage à Paris, dont le motif m’est rendu aujourd’hui intelligible par le nom du ministre de l’Empereur dont j’ai déjà parlé. M. Larcher avait trop souvent stigmatisé la trahison de l’infâme R…, passé au bonapartisme, pour que je ne fusse pas bien étonné de l’entendre, à son retour, dire à sa femme, après lui avoir nommé le personnage : — « Hé bien ! Je l’ai vu, et ça sera fait au prochain mouvement… Il me l’a promis… Nous avons pleuré comme deux vieilles bêtes quand nous nous sommes revus… C’est un vieil ami tout de même. Et puis c’était le seul moyen… Mais est-il temps encore ?… Ca m’a coûté, tu sais… » Le brave homme était allé demander à son ancien ami le changement du conseiller de préfecture !… Cette démarche-là, aucun instinct romanesque ne pouvait me la faire deviner. Je pressentis bien, à l’accent des deux vieilles gens, qu’il devait s’agir encore de M. de Norry, mais d’une manière trop indécise pour que je me souvienne des pensées que ce voyage à Paris dut me suggérer, au lieu que toutes les ténèbres du passé se dissipent, et que je revis avec une acuité presque douloureuse, tant elle est intense, les sentiments que j’éprouvai pour ce même M. de Norry, deux semaines environ après ce retour de mon oncle… C’était le soir du 6 janvier 1860. J’ai une raison de nouveau pour savoir la date avec exactitude, puisque nous étions tous réunis chez Mme Réal au dîner du jour des Rois…