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Ah ! » reprit mon oncle, « il est encore venu la voir aujourd’hui !… » Il n’ajouta pas un mot à cette exclamation. Il l’avait jetée, comme se parlant à lui-même, avec un accent si particulier que j’en demeurai tout saisi. Je n’eus pas besoin de lui demander quelle était la personne que le possesseur du cheval miraculeux venait voir « encore aujourd’hui. » J’avais rencontré M. de Norry, la veille, à la même heure, comme je revenais du collège, mais sans sa voiture, cette fois, et se dirigeant vers notre maison. Je l’y avais vu entrer, et il n’avait pu rendre visite qu’à Mme Réal puisqu’il n’était pas monté chez ma grand’mère. Pourquoi ces deux visites si rapprochées l’une de l’autre, préoccupaient-elles mon aïeul à un tel degré ? Sa voix avait changé, son visage s’était soudain assombri, et il eut un geste presque brusque pour m’empêcher de m’arrêter, fasciné devant le poney qui devait stationner là depuis assez longtemps déjà, car il avait, de son sabot impatient, creusé une large place dans le sol, et son cocher, debout devant lui, frappait lui-même des pieds contre la terre, comme un homme qui se sent glacé par l’immobilité de l’attente. Tout ce tableau, éclairé par la lueur triste d’une fin de jour de novembre, est présent devant mes regards à cette minute, et les petites roses qui remuaient aux oreilles du cheval à chaque ébrouement de sa grosse tête, et la haute taille de mon grand-père s’engouffrant sous la haute porte cochère, et m’y entraînant avec lui, et je retrouve non moins présente