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n’y avait pas eu de classe ce jour-là. Ce devait donc être un dimanche ou un jeudi de l’automne de 1859. Devant la porte de notre maison, stationnait une voiture, que je reconnus aussitôt. C’était un buggy à deux roues, le seul de la ville, et qui appartenait précisément au personnage, objet de mon admiration. Il y attelait un poney très doublé, d’un modèle unique aussi dans notre pays de bidets de montagnes, taillés en chèvres. La bête du conseiller de préfecture avait le garrot énorme, la poitrine large, des reins et une croupe de cob. Elle était très velue, avec des pattes courtes toutes noires sous le corps d’un gris pommelé. La crinière était coupée au ras de l’encolure, et dans son harnais d’un cuir verni, sur lequel se détachait, aux places voulues, une couronne de comte en argent, cet animal m’émerveillait autant que son maître. Ou plutôt mes deux ébahissements se confondaient l’un avec l’autre, quand le jeune homme passait dans cette légère voiture, au trot allongé de cet agile poney. Je le contemplais comme j’aurais fait du Phaéton des Métamorphoses d’Ovide, que je traduisais alors, s’il eût promené le char du Soleil sur le pavé pointu des rues de notre ville. Je n’eus pas plutôt aperçu cet attelage, de l’extrémité de la place, que je m’écriai vivement : — « Mais c’est la voiture de M. de Norry !… » — « Où cela ? » me demanda mon grand-père, dont la vue commençait de baisser, dès cette époque. — « Mais devant la porte de notre maison. » — «