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Que de fois ces mots inexplicables m’étaient revenus à l’esprit, tandis qu’au lieu de faire mes devoirs, je regardais, caché sous le rideau, par les vitres de la fenêtre, la jolie Mme Réal, — de son prénom Marguerite, — se promener, un livre à la main, sur le sable des allées. Je voyais sa silhouette, restée si souple et si jeune, de femme de trente-cinq ans. Son délicat profil se détachait sur un fond de verdures et de fleurs, si c’était l’été, et si c’était l’automne, sur les épaisseurs fauves des feuillages fanés. La soie d’or de ses cheveux luisait sous son chapeau de jardin. Ses mains, toutes blanches, à travers la dentelle de ses mitaines noires, ouvraient, refermaient le livre. Ses pieds minces dépassaient, au rythme de sa marche, le bord de sa robe, et ses yeux se relevaient de leur lecture pour s’égarer sur l’horizon des montagnes qui dentelaient le ciel, pardessus les murailles du clos, revêtues d’un lierre, où le vent faisait courir un frisson. Je me répétais la phrase de mon grand-père, sans en rien comprendre, sinon qu’un danger menaçait cette idéale et douce tête, et les mots inexplicables, les uns comiques et vulgaires, les autres attendrissants, me faisaient rêver indéfiniment : — Tourner mal ? J avais entendu dire d’un de mes cousins, qu’il avait mal tourné. Il s’était engagé dans les dragons comme simple cavalier !… — Confrérie ? Je connaissais une confrérie, celle du Scapulaire, dont faisait partie ma grand’mère, aussi pieuse que mon grand-père l’était peu… — Quel dommage ! Cette exclamation me touchait d’une pitié qui s’étendait, par une émotion inintelligible