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oue de sa lippe insolente, je me rends compte que j’ai connu en lui un type accompli du butor provincial, qui n’a que trois goûts passionnés : la chasse, la table et son argent. Comment ce détestable manant se trouvait-il avoir épousé une femme aussi délicate qu’il était commun, aussi jolie et fine qu’il était malotru ? C’était la banale histoire du mariage d’un richard, fils et petit-fils d’usuriers, acheteurs de biens nationaux, avec une demoiselle noble et ruinée. Mme Réal était, par son père, une Visigniers — de ces Visigniers, dont le château écroulé, demeure une des curiosités du pays. De cette union, que ce grossier Real avait évidemment voulue par brutal orgueil plébéien, une fille était née, plus âgée que moi de quatre ans, une adorable enfant toute pareille à sa mère, et ma naturelle compagne de jeu pendant toute mon enfance. Mais, depuis quelques années, je ne la voyais plus guère. Elle achevait son éducation dans un couvent réputé comme aristocratique, — ce qui faisait dire à mon grand-père qui avait un peu les préjugés voltairiens d’un grand bourgeois admirateur de Louis-Philippe, cette autre phrase, plus énigmatique encore pour moi que celle sur la Fleur des Pois : — « Si ce faraud de Réal voulait que sa femme tournât mal, il ne s’y prendrait pas autrement… Il avait la chance d’avoir cette fille. C’était le salut de sa mère… Et il la met au Sacré-Cœur, par vanité !… Vous verrez ce qui arrivera. Seule, pas heureuse, — il sera de la confrérie, c’est inévitable… Et cette charmante créature ! Quel dommage !… »