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son nom, était conseiller à la préfecture ! Il est vrai qu’à cette époque, vers le début du second Empire, l’équipe administrative se recrutait supérieurement. Le régime y voyait sa partie forte et il y attirait les jeunes gens distingués des meilleures familles. Je comprends aujourd’hui que mon naïf engouement pour l’élégant conseiller fut, en réalité, une divination. Je viens de dire qu’il arrivait de Paris, et c’est ma première impression de Paris que je reçus, sans m’en rendre compte, à travers lui. Il était assez grand et mince, avec de beaux yeux noirs, très doux et comme veloutés, sur un teint trop pâle. Etait-ce cette pâleur qui me frappa, lors de sa première visite chez mon grand-père, et le contraste de ce teint lassé d’homme de plaisir avec les épaisses colorations des figures provinciales qui m’entouraient ? Etaient-ce d’autres particularités d’un ordre très simple ? Mais il n’est rien de simple pour l’observation compliquée de certains enfants. Dès cette première rencontre, j’avais remarqué, par exemple, que M. de Norry portait, au petit doigt de la main gauche, une bague comme je n’en avais jamais vu, composée de deux petits serpents enlacés, avec deux saphirs pour têtes. J’avais observé la finesse de sa chaussure et la fraîcheur de son linge. Je respire encore, de par delà un quart de siècle, l’arôme frais et léger de son mouchoir, et j’entends la voix de mon grand-père dire à ma grand’mère, avec un ricanement, quand le conseiller de préfecture impérial fut parti : — « Les bandits nous ont envoyé leur fleur des