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la maison au collège et du collège à la maison. Elle était bâtie sur une petite hauteur, dernier contrefort d’une chaîne de montagnes plus grandes, en sorte que toutes les rues étaient en pente. Un cailloutis pointu les pavait, sur lequel les semelles de bois de mes sabots avaient beaucoup de peine à ne pas glisser dans les mauvais mois d’hiver. Ces rues étaient serrées et tortueuses, utile précaution contre la bise qui arrivait tout droit de ces montagnes couvertes de neige et vous coupait le visage comme avec un couteau. Pour ce même motif, les hautes maisons de pierres noires étaient pressées, tassées les unes contre les autres. Dieu ! la mélancolique et froide ville ! Et, pourtant, c’est ma ville, la seule où je ne sois pas un étranger, un passant qui pourrait ne pas revenir. Ma ville, elle, fait partie de moi comme je fais partie d’elle. Il n’est pas un tournant d’une de ses sombres ruelles où je n’aie un fantôme à évoquer, d’un homme ou d’une femme, plus ou moins mêlé à l’histoire de mon âme, et qui, le plus souvent, ne s’en est jamais douté. Je pense, en écrivant ces lignes, au personnage masculin qui jouait, à l’époque de ma treizième année, le premier rôle dans mes préoccupations imaginatives, et qui, certes, ne pouvait guère le soupçonner. C’était un homme d’environ trente ans, venu de Paris, l’année précédente, exercer dans notre pays une fonction bien peu romanesque, semble-t-il, et peu faite pour exalter la fantaisie enthousiaste d’un adolescent : M. de Norry, c’était