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nature morale, un instant déviée en moi, reprît sa norme et guérit. Mais à quoi bon commenter cette belle et intelligente bienfaisance ? J’aime mieux vous la montrer, simplement. …C’était le mercredi après déjeuner. Il y avait par conséquent plus de quatre fois vingt-quatre heures que j’avais commis ma mauvaise action, et, comme à toutes les minutes depuis lors, j’y pensais, avec cette folie d’hypothèses qui obsède le criminel. Si, en balayant la terrasse, on venait à ramasser quelque morceau de verre qui m’eût échappé et que l’on reconnût pour avoir appartenu à la montre ?… Si on était obligé de nettoyer la citerne et que l’on découvrît la montre elle-même ?… Si ?… Comment aurais-je imaginé parmi tant de possibilités celle qui allait se réaliser, et effacer la trace de ma détestable scélératesse. Il pleuvait un peu et nous gardions la maison, mon oncle et moi : lui, travaillant, debout, à un tableau noir, sur lequel il traçait des x et des y, moi, lisant ou essayant de lire. Un coup de sonnette annonce un visiteur. La bonne étant sortie, mon oncle me dit d’aller ouvrir. Je vais ouvrir en effet, le cœur battant. C’était encore une de mes terreurs que le docteur se fût rendu à la police, pour communiquer ses soupçons à qui de droit… C’était lui, mais tout seul, avec un sourire de bonté où il y avait de la malice. Il ôta ses socques, son cache-nez, ses mitaines, soigneusement, méticuleusement, comme d’habitude. Il essuya ses lunettes que la pluie avait brouillées, en disant : — «