Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/326

Cette page n’a pas encore été corrigée

croyais bien. Mais non… Je me sens encore un peu fatigué… » — « Veux-tu essayer de dormir ? » me demanda mon oncle, et, comme j’avais fait signe que oui, le cher homme et Octave me dirent adieu. Ils s’en allèrent en étouffant leur pas, après avoir fermé les volets de la fenêtre et baissé les rideaux, pour que l’obscurité m’aidât à trouver le sommeil réparateur. J’étais donc seul, couché dans cette nuit factice, que rayait seule une ligne de soleil apparue à l’interstice de ces rideaux, et j’avais mal, ah ! que j’avais mal ! La morsure empoisonnée de l’envie m’écorchait l’âme, et tous les épisodes où mon rival m’avait humilié à son insu me revenaient à la fois. Je le voyais, dans un même regard de ma colère impuissante : assis en classe au pupitre d’honneur où les premiers avaient leur place et qu’il ne quittait plus jamais, courant dans le préau du lycée d’une course qui toujours dépassait la mienne, saluant mon oncle avec une grâce de manières qui contrastait avec ma gaucherie, lançant sa toupie avec une adresse que je n’arrivais jamais à égaler, et enfin, tirant de sa poche cette montre d’or qui achevait d’exaspérer ma fureur de jalousie… Et voici que, dans le silence de la chambre close, un bruit, presque imperceptible d’abord, tant il se confondait avec un autre, me fit relever la tête. J’écoutai. Cela venait du marbre de ma table de nuit, où je plaçais d’habitude mon vieil oignon d’argent. Je reconnaissais son tic-tac un peu gros, mais